Alain Rey attaqué
Attaqué par une association pour sa définition au mot « colonisation », Alain Rey, le lexicologue responsable du « Petit Robert » riposte.
Le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), suivi par le Mrap, a demandé au Petit Robert de retirer les 170 000 exemplaires de son édition 2007 pour sa définition du mot "colonisation" : " Mise en valeur; exploitation des pays devenus colonies » (nos éditions du 6 septembre). Les deux associations considèrent que l'ouvrage soulignerait le rôle positif de la colonisation. Alain Rey, linguiste, lexicologue et philosophe du langage, qui a conçu et dirigé la rédaction du Robert, s'insurge contre cette accusation. Il vient de recevoir le soutien de Claude Ribbe,responsable de la commission culture du collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais, membre de la commission nationale consultative des droits
de l'homme.
LE FIGARO. -Comprenez-vous cette polémique autour de la définition du mot «colonisation » ?
Alain REY. -Je comprends qu'un mot soit dangereux à manipuler. Notamment les définitions des termes « race », « racisme », « esclavage », « antisémitisme »et bien sûr « colonie »ou
« colonisation »... Mais le procès, intenté au Petit Robert, dont la réputation idéologique n'est plus à faire, se révèle totalement injuste. Il est le signe d'une inculture économique totale de la part de ses détracteurs. Le Cran nous reproche l'expression de « mise en valeur ».
Ils confondent la valeur économique et la valeur morale. Parler de colonisation -processus historique -n'est pas faire l'apologie du colonialisme –qui est une attitude -, mot que nous
avons ainsi clairement défini : « Système politique préconisant l'occupation et l'exploitation de territoires dans l'intérêt du pays colonisateur. »Il y a quelques années, nous avons pris la précaution d'y adjoindre le terme « exploitation » pour éviter ce type de quiproquo.
Le Mrap et le Cran vous ont-ils contacté avant de lancer leur campagne ?
Pas du tout. Il s'agit avant tout d'une instrumentalisation à des fins médiatiques. Ce n'est
pas honnête d'extraire trois mots d'une définition qui renvoie à d'autres termes, de monter une
polémique et de demander le retrait d'un ouvrage qui contient 25 millions de signes. La motivation principale est de faire parler de soi. Je rappelle aussi que ce mot apparaît tel
quel depuis 1967. Un dictionnaire n'est pas une plateforme de débat idéologique. C'est un travail de près de quarante ans, réalisé avec une trentaine de personnes (des linguistes, des historiens, des scientifiques), toutes averties de l'impact d'une définition d'un mot. Ce n'est pas un travail subjectif ni un livre d'opinion. Cette polémique ne rend pas service à ces
personnes dont je partage les idées.
Durant treize ans, dans vos chroniques quotidiennes sur France Inter, vous avez donné
une dimension politique et sociale aux mots...
Oul Je suis conscient que les mots ont un impact affectif, social et idéologique. Et j'accorde à
chacun le droit de faire son propre dictionnaire, de dire sa manière d'envisager les mots.
Faut-il retirer l'expression « mise en valeur » de la définition dans la prochaine édition du Robert 7
Je ne sais pas. Nous allons réfléchir.
N'est-ce pas céder au politiquement correct ?
Sans doute. Mais un renvoi à la définition de « valeur » est sans doute nécessaire. Peut-être, pour plus de précision, préconiserais-je aussi d'y ajouter une citation d'Aimé Césaire tirée de son Discours sur le colonialisme.
Propos recueillis par
MOHAMMED AJSSAOUI et MARIE-CHRISTINE TABET
Cette interview est parue dans Le Figaro du Vendredi 8 septembre 2006
sous le titre: AlainRey: "Un dictionnaire ne fait pas d'idéologie"