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Les bonnes feuilles de Vent d'Auvergne
15 décembre 2006

Le martyre de l'écrivain de droite

Denis_tillinacRien de plus incommode pour un écrivain français que d'être présumé "de droite". Un ordre moral plus ou moins implicite vous expédie illico dans des enfers peuplés de beaufs racistes, de magnats véreux, d'adjudants au front bas et de bigotes en délicatesse avec leur libido. Autant de clichés par quoi la gauche vous néantise sans préavis. Car en France c'est la "gauche exclusivement qui décrète le bien, le vrai, le beau, le juste. A gauche la liberté, la justice, la créativité; à droite la rétention, l'égoïsme, le conformisme. Une conscience morale se porte à gauche, un intellectuel est de gauche par définition. En conséquence c'est la gauche qui distingue (la droite "respectable" (sic) de l'ivraie "réac" ou "facho", selon les critères d'une démonologie assez comparable aux frénésies de l'Inquisition. Il n' en faut pas beaucoup, à l'aune des modernes Torquemada, pour être réputé "réac": le moindre trait d'ironie sur un article du credo "progressiste" et vous voilà l'objet d'un discrédit tenace. Le mépris n'est pas loin. Pour tout dire, en tant qu'écrivain "de droite", j'ai souvent l'impression d'être condamné à une sorte d'exil intérieur. C'est pénible à la longue.

Grâce au ciel, mon naturel ne me porte pas au ressentiment; sinon ma plume viderait du fiel et je serais perdu pour l'humour, la poésie, l'ambiguïté, l'émerveillement -tout le matériau de mon destin de gâcheur d'encre. De  beaux esprits ont mal tourné pour avoir été marginalisés par la cléricature ambiante, tant il est vrai que la rancoeur est mauvaise conseillère. J'écris sur ce sujet -la droite -avec l'espoir sans doute vain de jeter un pont vers l'autre rive, celle des consciences de gauche. Non pour les racoler. Même pas pour les convaincre. Juste pour essayer de les guérir de leur mépris. En vérité, il ne m' affecte que par ricochets : je suis, sur la rive gauche de la Seine, un "bon réac", comme il y avait un "bon juif" pour chaque antisémite avant la guerre. On me tolère. On me consent à l'occasion l'aumône d'un strapontin dans les débats conçus et orchestrés par les gardiens médiatiques du dogme. Tout de même on m'aborde avec des pincettes, et  si l'on daigne me considérer comme un ami, c'est avec le

frisson érotique de la transgression. Un ami "réac", quelle audace ! Quelle preuve d'ouverture d'esprit ! Surtout, quels délices vénéneux ! Le bourgeois voltairien éprouvait le même titillement au creux de l'échine, sous Jules Ferry, en allant au bordel.

On connaît les raisons historiques de l'invalidation morale du mot "droite" : Pétain, la collaboration, des accointances supposées avec Hitler, Mussolini, Franco, Peron ou Salazar. Peu importe l'incongruité de ces identifications en cascade, elles règnent encore dans l'inconscient collectif, soixante ans après l'effondrement du IIIe Reich. Et quand on juge un Papon, il semble que ses agissements nous sont contemporains. Or ils ne le sont pas, et les nostalgiques de Vichy ou de l'OAS se font rares. Plus rares que ceux du «grand soir»: Je n' ai jamais rencontré en France un seul fasciste. En revanche, j'ai croisé par centaines des disciples de Lénine, Trotski, Staline, Mao, Sékou Touré ou Fidel Castro.

Nul n'ignore pourtant, depuis Hannah Arendt, que les structures mentales d'un totalitaire marxiste ou nazi sont exactement les mêmes. D'ailleurs, dans "national-socialisme", il y a "socialisme" et sous l'uniforme SS, la peau de  Doriot ou de Déat n'avait pas changé de grain.

La pulsion idéologique relève d'une pathologie toujours identique, qu'elle se badigeonne en rouge ou en brun. Elle me fait toujours peur. Elle consiste à projeter des aspirations à l'absolu sur le champ politique, qui est un domaine de pures contingences. En d'autres termes elle nie

le tragique en prescrivant des solutions au Mal.

Ça finit toujours très mal. En tenant Hitler pour un monstre absolu, et Staline pour un monstre relatif, ou accidentel, l'intelligentsia parisienne escamote manifestement sa culpabilité. On veut bien ne plus lui faire grief d'avoir compagnonné longtemps avec la terreur stalinienne ; il serait décent que ses épigones s'abstiennent de donner des «leçons de droits de l'homme»: Sur ce chapitre qu'il faut clore, Aron avait raison et Sartre avait tort, point final.

Reste que le mot droite est affecté d'un coefficient moral négatif, à telle enseigne que l'on

voue son extrême (Le Pen, etc.) aux gémonies, tandis que l’«extrême gauche» (terme générique) a droit de cité. Le Pen est une ordure; Besancenot, un utopiste givré, mais sympa. En tout cas fréquentable. Pourtant, si un trotskiste trônait à l'Élysée, tous les bobos du quartier

latin émigreraient à New York, nonobstant 1"'impérialisme américain". Nous serions nombreux à les y rejoindre, droite et gauche confondues.

Bref, il faut de l'entrain pour endosser sans déprime cette infirmité: être un homme de droite. Ce que je suis, sans complexe sinon sans ambiguïtés. Jamais encarté, jamais syndiqué. De droite quand même. Pas du tout xénophobe; ni antisémite, ni puritain, ni cousu d'or, ni stipendié par la CIA ou par Bruxelles. Rien ne m'a prédisposé à rouler à droite; mon terroir est "rad -soc", mon père a appartenu à l'A.S. ( armée secrète) et mon meilleur ami est socialiste

encarté depuis le congrès d'Épinay. Mes moeurs sont ordinaires, comme disait Mitterrand, mon catholicisme basique, mes gourmandises tous azimuts, mes penchants esthétiques si divers qu'ils ne laissent pas de me dérouter. Je n'ai d'aversion ni pour les Arabes, ni pour les homos, ni pour les francs-maçons et ce que les marxistes appellent la «conscience de classe» n'est pas mon fort. Non plus que cette manie de discriminer bons et mauvais en regard de leur positionnement sur l' échiquier partisan. Presque tous mes copains sont de gauche, génération

oblige, et en tant qu’ éditeur ou critique, je ne me suis jamais soucié du vote d'un auteur.

Pourtant je suis de droite. Pourquoi! En quoi! Tâchons d'éclaircir ce mystère. D'abord il faut renoncer à la commodité d'une homothétie entre la droite et la gauche. En France, depuis les Lumières, peut –être depuis Descartes, peut-être depuis les guerres de religion, le credo dominant est à gauche.

Raison, progrès, émancipation de l'individu, foi en la science, etc. Toutes les plumes qui

comptent entre Louis XIV et la Révolution sont admises peu ou prou dans le panthéon de la

gauche, depuis Bayle jusqu'à Beaumarchais en passant par Marivaux, Laclos, D'Alembert,

Diderot, Sade, Condorcet, Condillac, Voltaire et Rousseau.

Elles ont donné le ton d'un "progressisme" que théorisa Hegel avec son "devenir". En gros, l'humanité est en marche dialectique vers son salut, mais dans l'Histoire (majuscule ), pas au royaume des cieux. Ce progressisme, cet optimisme, ce prophétisme ont pris mille visages, celui du scientisme trivial de M. Homais, du positivisme de Comte, de l'anticléricalisme du père Combes, du millénarisme révolutionnaire. Besancenot, Buffet ou Hollande l'invoquent encore, chacun dans sa chapelle, avec ses mythes fondateurs, ses patois et ses excommunications.

La droite ne lui oppose pas un dogme concurrent; au fil des aléas elle se définit par une incroyance, une allergie, une méfiance: elle doute que le "devenir" conduise au meilleur des mondes socialisés. Ou bien elle répugne à y être encasernée. Etre de droite est donc une posture de récusation, pour des raisons ponctuelles, tantôt métaphysiques, tantôt morales ou esthétiques. On ne croit pas à l'approche "de gauche" de la liberté, de la vérité, du bonheur, de ce que doit être une aventure humaine. On ne sait pas forcément théoriser cette incroyance et d'ailleurs on doute que la réalité soit toute rationalisable, qu'il s'agisse du social ou du psychologique. Mais on ne croit pas à un progrès linéaire et on ne veut pas vivre dans l'eden profane bricolé par les idéologues de gauche, préfiguré par les révolutions auxquelles ils se réfèrent, la nôtre en particulier: le clivage advient nommément sous la Constituante.

La droite n'est pas le contraire de la gauche mais la folle de son régiment, le mouton noir de son troupeau, le cancre au fond de sa classe. Elle n'a aucune certitude opposable à la gauche, elle exprime juste un refus qui vient du coeur,ou des tripes, ou de l'âme.

Denis Tillinac

Ce texte est paru dans le numéro de Valeurs Actuelles du 1er décembre 2006

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