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Les bonnes feuilles de Vent d'Auvergne
6 mai 2006

Les petits vieux

pm_couteauxIl a fallu tout le brumeux lyrisme des plumitifs de service et le jeunisme ambiant pour faire croire que le mouvement dit anti-CPE participait d’une sorte de soulèvement des forces vives de la France contre le mondialisme marchand et la si fameuse dictature de l’argent.

À la vérité, discours et slogans n’avaient rien des grandes pompes révolutionnaires. La revendication d’un contrat à durée indéterminée, indéterminée si possible au point de conduire pépère jusqu’à la retraite avec avantages acquis et points de cotisations afférents, n’annonce guère une contestation de l’univers marchand… Il n’était que de voir les défilés de ces révoltés, pour ainsi dire officiels, arborant des costumes, casquettes, blousons bardés de marques qui les transforment en panneaux publicitaires pour se convaincre que nous étions très loin de la Révolution.

De même, le slogan “Premier emploi, première embrouille” témoignait-il d’une réticence au travail révélatrice de l’incapacité de la génération de leurs parents, celle de Mai 68, à transmettre les valeurs dont elle avait héritées et dont elle s’est débarrassée en sifflotant, à commencer par cette valeur “travail” dont la réhabilitation devrait être l’un des soucis majeurs de toute entreprise de redressement national.

À moins que cette jeune contestation n’entreprenne de définir un contre-projet de société, de fermer les frontières et de s’arracher à toutes les griffes d’une mondialisation dont elle cultive pourtant au-delà du raisonnable les images, les joujoux et même les illusions. Le moindre des réalismes voudrait qu’elle accepte les règles de son jeu, aussi terribles soient-elles, à commencer par cette compétitivité sans laquelle CDI se déclinera en “chômage à durée indéterminée”, après quoi il ne restera qu’à regarder depuis le trottoir une Histoire plus prompte qu’ils ne le croient à se faire sans eux.

Quant à la rengaine reportée sur des pancartes “Les lois ne font plus les hommes, mais quelques hommes font la loi”, elle trahit une inquiétante ignorance des mécanismes de la représentation en démocratie.

Le véritable sujet du mouvement n’était pas tant l’emploi des jeunes que, bien en amont, l’école. Une école tombée dans de tels travers idéologiques que c’est le système même de la transmission qui se révèle abandonné. C’est au point que les jeunes semblent ne plus rien comprendre au monde tel qu’il va et que, privés de connaissances élémentaires en histoire, ignorant l’organisation politique de la nation comme le jeu des puissances planétaires qui, pourtant, modèlera de plus en plus brutalement leurs vies, et privés aussi de mots, comme en témoigne leur décourageante pauvreté de langue, vocabulaire et syntaxe engloutis dans un même babille, qu’ils finissent par ressembler davantage à des petits vieux englués dans l’État providence de papa qu’à une véritable jeunesse pour le XXIe siècle.

Propos désabusés, non point. Car l’énorme philharmonie médiatique a soigneusement dissimulé une vérité plus prometteuse : la majorité des jeunes n’a pas suivi un mouvement qui n’a marché que par l’intimidation et l’orchestration des élites bien-pensantes propriétaires de tous les tuyaux de la communication. Il n’aura manqué à cette majorité trop silencieuse (« Les vrais perdants », comme l’a titré Valeurs Actuelles) qu’un peu de courage pour s’y opposer franchement. Que l’État ait une tête plus ferme et plus allante, et on pourrait bien, un jour, comme le disait, avec une tremblante espérance, de Gaulle à Malraux, « revoir une jeunesse française ».

Paul-Marie Coûteaux

Ecrivain, Député au Parlement européen

Article paru dans le magazine "Valeurs actuelles" du 5 au 11 juin 2006

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